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Med'Act | Académie de Médecine de l'Homme | Contactez notre équipe | Photo par Taisiia Stupak - Unsplash

Quand
la maladie
nous enseigne

Introduction

Ouvrage paru en 2008
Aux éditions Josette Lyon
par Dr Jean-Patrick Chauvin

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« …Parce que, mon bon docteur, je ne peux pas croire que tes connaissances suffiront à me soulager ou à me rassurer. Prends moi par la main, mais surtout ne la serre pas trop, j’ai déjà tant de mal à ne pas me recroqueviller. C’est déjà tellement d’amour, une main juste posée sur mon corps. Après, c’est de l’exagération de volonté d’aide et ça m’étouffe. Il te faut encore apprendre, apprendre le geste ou le mot dont le malade a besoin, surtout ne pas en rajouter, et souvent te taire, faire silence pour ouvrir le temps et l’espace pour la parole de celui qui est si seul dans sa douleur. Et moi aussi, malade, il me faut apprendre à ne pas me contenter de tes soins compétents, il me faut voir en un éclair ce que la maladie qui me plie cherche à me dire, où elle me convie, vers quels horizons jusque-là inexplorés, vers quelles nouvelles contrées de mon existence. Il me faudra apprendre à demander de l’aide au-delà de tes compétences techniques. Il te faudra apprendre à chercher des réponses ailleurs que dans tes livres, dans ton expérience d’homme. A nous deux de faire silence pour entendre, au-delà des maux du corps ce qui appelle sa vérité. »

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C’est un vieil ami qui m’écrivit ces quelques lignes. Il fut parmi ceux qui contribuèrent au fait que ce livre s’écrive. Ils furent des centaines qui ont participé à ma vie de médecin, venant frapper à ma porte le corps douloureux et le cœur en détresse.

 

Tous, ils me convièrent à chercher, au-delà des enseignements doctes de la faculté, des réponses à leurs douleurs de malades et en même temps à mes souffrances de médecin. Ils m’invitèrent à accoucher d’un autre médecin, et peut-être bien d’une autre médecine.

 

Ce fut grâce à ceux qui ne se contentaient pas de mes « pilules » que tout progressa. Grâce à ceux qui en plus des soins du corps, réclamaient un sens à leurs maux. Pour cela il a fallu que je sois de plus en plus convaincu qu’aucune maladie n’arrivait par le simple hasard des circonstances extérieures, que tout était orchestré par une souffrance intime jusque-là ignorée et ne pouvant s’exprimer que dans ce désordre du corps. Ensuite, il m’a fallu du temps pour apprendre à débusquer cette souffrance intime derrière les manifestations parfois bruyantes du corps. Puis  encore du temps pour percevoir les réponses que réclamaient ces souffrances gisant au cœur de chaque patient que j’étais convié à soigner.

 


C’est ce dont tente de témoigner ce livre.

Parce que cette expérience pourra peut-être servir au-delà de l’enceinte confidentielle de mon cabinet.


 

Et voilà à qui il s’adresse.

  • À vous qui êtes  persuadés aussi que la maladie n’arrive jamais par hasard.
  • À vous qui avez l’intime conviction que toute maladie à un sens et qui voudriez tant accéder à ce sens.
  • À vous qui voulez bien envisager qu’au bout de toute maladie, il y a un acte manquant à votre existence d’homme et de femme.
  • À vous qui cherchez un « mode d’emploi » de vos maladies et de vos maux.
  • Enfin, à vous aussi qui êtes simplement curieux de la nature humaine.

 

Quant à ceux qui n’ont pas choisi de se poser toutes ces questions, ceux qui considèrent que la médecine ne doit leur offrir qu’un seul service : celui de distribuer des médicaments pour soulager leurs maux, qu’ils referment d’emblée ce livre. Il ne leur apportera rien qui les intéresse vraiment, ou peut-être un souci de plus.

 


Précisons qu’il n’est pas prévu de tirer à boulets rouges sur notre belle médecine moderne, tant elle est efficace et performante. Il lui manque juste un petit supplément d’âme, d’âme humaine. C’est trois fois rien, et pourtant c’est l’immensité à franchir. Il n’est pas prévu, non plus, au passage d’écorcher les autres médecines, mais simplement d’essayer de remettre à leur juste place chacune de ces approches.


 

Enfin, ce livre s’adresse à tous ceux, malades et médecins, qui rêvent que notre médecine franchisse le pas d’humanité que réclament les soubresauts de notre système de santé actuel. A tous ceux qui ne se contentent pas de bonnes paroles mais qui sont persuadés que seuls des actes changeront vraiment les choses.

 

Ce livre est né avant tout de la nécessité de témoigner, simplement témoigner en toute humilité, d’un chemin parcouru. Je crois qu’au fond des choses, je n’ai jamais vraiment décidé. C’est la vie qui m’a conduit à ces endroits. J’ai simplement essayé, face aux circonstances qui m’étaient proposées, de répondre du mieux que je pouvais. J’ai simplement tenté, face aux « hasards » de mon existence de comprendre quelle nouvelle « nécessité » il était réclamé à chaque fois. Ensuite, j’ai agi en conséquence.

 

En fait, tout semble avoir commencé il y a une vingtaine d’années. J’étais alors un jeune médecin insatisfait de son exercice, insatisfait de l’aide qu’il apportait à ses patients. Alors, je me suis mis à chercher des solutions à cette douleur. Vingt années se sont écoulées aujourd’hui et force m’est de constater que ce parcours qui fut le mien, m’a d’abord conduit à repenser mon propre exercice, mon propre rôle de médecin, voire jusqu’à envisager une autre médecine possible.

 

Cette « médecine » pouvait-elle rester confidentielle, réservée à quelques-uns de mes patients triés sur le volet, ou devait-elle profiter à d’autres ?

 

S’il n’avait tenu qu’à moi, tout serait resté extrêmement discret, confidentiel. Qui, en effet, allait s’intéresser aux idées et aux actions d’un petit médecin généraliste ordinaire ?

 

Je crois bien que seul, je n’aurais jamais entrepris ce que j’entreprends en ce moment. Seul, je n’aurais jamais eu l’audace de venir sur la place publique.

 

Il a fallu la foi, la pugnacité d’un homme qui n’a cessé de me dire : « Cette cause que tu portes te dépasse et elle ne peut pas rester dans des cartons. Il y a tant de gens qui ont besoin de cela. » Sans cet accompagnement si patient au fil des années, jamais je n’aurais écrit la moindre ligne de ce livre.

 

Ce livre est le fruit de rencontres, de hasards de circonstance et de nécessités de répondre à ces rendez-vous que la vie me proposait.

 

Il y a d’abord eu des rencontres avec des patients, des hommes et des femmes en souffrance, et qui m’accordaient un temps leur confiance. Ces occasions m’ont mis face à mes limites, à mes incompétences. Ce sont elles qui ont contribué à forger le médecin que je suis aujourd’hui. Elles m’ont convié à m’interroger sur mon rôle de médecin traitant, sur cette responsabilité de soigner, d’aider des hommes et des femmes qui souffraient ; sur cette responsabilité de les accompagner un temps dans leur détresse, au cœur de leur existence.

 

Puis, il y eut d’autres rencontres, qu’elles soient fortuites ou intentionnelles, avec d’autres médecins et d’autres soignants. Eux aussi me firent l’honneur de la confidence de leurs souffrances : souffrance de mal aider, souffrance de mal aimer ; ou plutôt de n’aider pas encore assez bien ou de n’aimer pas encore assez bien. Je fus convié à commencer à témoigner de mon parcours, mais je fus surtout invité à un curieux rendez-vous : envisager que mon expérience personnelle pouvait être utile à d’autres. Me voici, de ce fait, devant de nouvelles circonstances qui m’obligeaient à prendre la mesure de ce que j’avais reçu, qui m’obligeaient à prendre conscience des endroits par lesquels j’étais passé, de ce que j’avais appris au passage, de ce qui avait soulagé mon existence. Mais cela me mit devant de nouvelles limites, et devant la nécessité de tout structurer et de tout mettre en ordre et enfin d’oser retransmettre.

 

Enfin, vint l’enjeu d’écrire pour tous ces gens que je n’aurais jamais l’occasion de rencontrer, mais à qui ce livre pourrait servir à se poser les questions qui ne se seraient jamais posées autrement. Mais peut-être est-ce aussi un des rôles de la maladie : une opportunité de questions qui ne se seraient jamais posées sans elle.

 

Qu’il soit clair que toute cette aventure ne fut possible que parce que j’étais habité d’un profond sentiment, et que je le suis toujours d’ailleurs : c’est que la suite de mon existence devait servir au-delà de mon simple métier. Et cette aventure c’est aussi la seule réponse aux douleurs du jeune médecin que j’étais il y a vingt ans, et elle continue aujourd’hui.

 

Ainsi, ce livre est une invitation à un voyage. Chaque chapitre retrace une étape d’un périple et invite à envisager un autre point de vue sur la maladie, sur la santé, sur la nature humaine et de l’incidence que cela peut avoir sur le vécu  quotidien des malades et des médecins les uns en face des autres ou plutôt les uns à côté des autres.

 


Précisons qu’il a fallu l’incroyable aventure d’un voyage intérieur pour tout revoir et tout fonder.


 

Il y  eut d’abord un premier temps, celui d’un homme s’asseyant, du fait des circonstances de son existence, sur le rebord de sa vie. Tout cela pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Il y  eut d’abord cela, une douleur obscure, indéterminée qu’il fallut apprendre à rencontrer. Oui, il me fallut d’abord me rencontrer en toute intimité pour avoir une chance de trouver de vraies solutions aux douleurs qui m’habitaient. C’était en même temps le début de la rencontre avec cette phrase : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux. » Au début, je croyais encore que cette connaissance intime gisait au fond des livres que j’accumulais. Non, elle se tenait au fond de cette intérieure avec l’intimité profonde de ma propre personne. Connais-toi, toi-même… Ce fut la première étape.

 

Et vint la suite, connaître la nature humaine : quand connaître ne signifie pas seulement de savoir décrire les phénomènes extérieurs, les manifestations de cette étrange forme de vie qu’est l’être humain, mais de tout voir des ces manifestations dans leur essence. En fait, à cet endroit, il s’agit d’entrer en intimité avec, derrière les manifestations extérieures, ce qui anime l’homme. Il s’agit d’apercevoir d’abord sur soi, puis au-delà de soi, ce qui est une réelle « biologie » de la vie intérieure humaine. Et ce de façon aussi précise et rigoureuse que tout ce que m’avais appris mes professeurs de la faculté. J’assistais à cette biologie de l’esprit et ce fut la seconde étape.

 

Et, il y  eut une troisième étape, recomprendre toute l’intelligence du corps. Ce corps humain, merveille d’organisation qui fut construit patiemment par les étapes de la vie. Fascinant corps humain qui portait en lui toutes les performances de la vie qui nous avait précédé et qui contenait les enjeux de la suite. Mystérieux corps humain qu’il me fallut redécouvrir jusqu’à m’en émerveiller jour après jour.

 

Et puis vint la quatrième étape. Parce que soudain de nouvelles portes de connaissance s’étaient ouvertes, je ne pouvais plus penser la maladie et la santé de la même façon, j’avais un nouveau « mode d’emploi » de la maladie. En effet, cette recherche -d’abord personnelle- fut riche de conséquences pour le médecin que j’étais alors. L’existence de cette « double  biologie » de l’homme devait en permanence me conduire à envisager toute maladie depuis ces deux pôles : celui de la maladie du corps, comme tout médecin, mais aussi celui de l’homme-malade dont ce désordre du corps n’est que le reflet.

 

Alors suivirent deux autres étapes. Parce que tout accès à la connaissance doit se répercuter dans le concret, de nouvelles modalités d’exercice devaient voir le jour. Je dus apprendre à accompagner des malades dans cette recherche de sens. D’abord quelques-uns, puis de plus en plus ; les accompagner jusqu’à voir le sens personnel de leur maladie pour qu’ensemble nous puissions déterminer de façon précise et rigoureuse quels actes concrets en découlaient pour leur vie quotidienne. La « Médecine des Actes » commençait à exister de fait. Une nouvelle modalité de consultation voyait le jour. En même temps que cet exercice nouveau commençait de poindre, il se mettait en place les débuts d’une formation pour d’autres médecins, tant il paraissait important à quelques uns qui me sollicitèrent de réformer leur pratique.

 

Enfin, et ce sera la dernière étape, je pris l’audace de rêver un autre monde. Un autre monde de la santé ou chacun avancerait d’un pas, aussi bien les malades que les médecins, pour offrir à chacun ce supplément d’âme humaine que les conditions actuelles de notre système de santé semblent réclamer à corps et à cri. Mais peut-être qu’à force d’entendre et de tenter d’écouter vraiment le cri du corps des hommes et des femmes, on en vient à faire de même en toute circonstances.

 

En dernier, en guise d’exergue, pour clore ce voyage, il nous faudra bien poser cette question et tenter d’y répondre : de quoi l’homme est-il malade en vérité ?